LE PROBLÈME
La pandémie de COVID-19 en cours a révélé d’énormes lacunes dans la façon d’héberger les Canadiens qui vieillissent et ont besoin d’un plus grand soutien. Il est devenu évident que la conception des bâtiments dans lesquels ils résident influe grandement sur leur santé et sécurité et sur celles du personnel soignant. Le partage d’une même chambre par plusieurs résidents et l’utilisation de salles de toilette communes fournissent les conditions idéales pour la propagation des infections – non seulement la COVID-19, mais aussi le Clostridium difficile, les infections respiratoires fébriles, le Staphylococcus aureus résistant à la méticilline et les entérocoques résistant à la vancomycine, pour n’en nommer que quelques-unes.
Les chiffres sont catastrophiques.
En date de juillet 2022, le National Institute on Aging (NIA) avait enregistré des épidémies de COVID-19 dans 3 820 établissements de soins de longue durée (ESLD) et maisons de retraite, soit 63 % d’entre eux, et identifié 107 461 cas chez les résidents et 57 715 cas chez le personnel. Le NIA avait aussi enregistré le décès de 17 177 résidents et de 32 membres du personnel, ce qui correspond à 43 % de l’ensemble des décès au Canada[1]. De plus, pendant la première vague, 81 % des décès dus à la COVID-19 se sont produits dans des ESLD et d’autres établissements collectifs. C’est près de deux fois plus que la moyenne internationale de 38 % dans les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)[2]. Les chercheurs du NIA ont par ailleurs établi qu’il y a eu 74 fois plus de décès chez les Canadiens âgés vivant dans des ESLD et des maisons de retraite que chez les Canadiens âgés vivant dans leur communauté – trois fois plus que la moyenne de l’OCDE[3].
La conception de base des ESLD est un facteur important de la propagation de la COVID-19 et des autres maladies infectieuses. Le partage des chambres et des salles de toilette dans ces établissements est clairement associé à des épidémies de COVID-19 plus importantes et plus mortelles. Une étude des établissements de SLD de l’Ontario en 2021 a déterminé à l’aide de simulations que la conversion de toutes les chambres partagées en chambres individuelles aurait permis d’éviter 1 641 infections (31,4 %) et 437 décès (30,1 %)[4].
La recherche valide ce qui semble sensé, à savoir que le partage des espaces (chambres et toilettes) crée des environnements idéaux pour la propagation de la maladie chez des populations vulnérables qui ont peu de moyens pour se protéger. Malgré les preuves évidentes, deux normes importantes récemment publiées et le Code national du bâtiment du Canada (CNCC) ne tiennent pas compte du besoin, sur la base de la santé et de la sécurité fondamentales, d’éliminer les chambres et les toilettes partagées dans les ESLD du Canada.
L’Organisation des normes de la santé (HSO) a récemment publié une version révisée de la Norme sur les soins de longue durée[5]. L’Association canadienne de normalisation (Groupe CSA) a quant à elle publié une norme complémentaire intitulée Foyers de soins de longue durée – exploitation et prévention et contrôle des infections[6]. Bien que ces deux normes contiennent de nombreuses mesures positives qui pourraient être mises en œuvre, elles comportent malheureusement des lacunes sur des questions essentielles reliées au partage des chambres.
La norme de la HSO ne tient pas compte du fait que la conception des ESLD a des incidences considérables sur la prestation des soins et que l’entassement des résidents compromet leur santé. La norme CSA, quant à elle, tient compte de la conception des établissements, et suggère, mais sans l’imposer, que toutes les chambres des résidents soient à occupation simple. Elle suggère également, mais là encore, sans l’imposer, que chaque chambre de résident dispose de sa propre salle de toilette.
Le Code national du bâtiment du Canada (CNBC) est un code du bâtiment modèle qui est mis à jour aux cinq ans. Il établit les exigences techniques pour la conception et la construction des nouveaux bâtiments, ainsi que pour la modification et le changement d’usage des bâtiments existants. Le CNBC a comme objectif d’assurer la santé et la sécurité des occupants des bâtiments. La prochaine édition intégrera 280 modifications, mais il semble qu’aucune d’entre elles ne soit liée à la santé et la sécurité physiques.
UNE SOLUTION
L’IRAC estime, pour des raisons fondamentales de santé et de sécurité des résidents vulnérables, que le partage des chambres et des salles de toilette doit être interdit dans tous les nouveaux établissements et qu’il soit éliminé dans les établissements existants au fil du temps. Au-delà des améliorations à la santé et à la sécurité, les chambres et les salles de toilette privées améliorent grandement la qualité de vie générale des résidents.
L’IRAC invite l’Organisation des normes en santé à réviser sa norme pour qu’elle tienne compte de l’important facteur du partage des chambres, mais aussi que la norme CSA aille plus loin et rende obligatoires les chambres et les salles de toilette à occupation unique. De plus, une fois mises à jour, les deux normes devraient être adoptées par les gouvernements provinciaux et territoriaux en tant que normes obligatoires régissant la conception et l’exploitation des ESLD.
Il est très préoccupant de constater que les leçons durement apprises pendant la pandémie de COVID-19 n’aient pas entraîné les changements évidents et urgents aux normes et aux codes utilisés pour régir la conception et l’exploitation de la prochaine génération d’ESLD et la rénovation et l’amélioration des ESLD existants. Certains gouvernements et organismes de réglementation provinciaux et territoriaux se contentent d’utiliser des normes et codes désuets et de continuer à bâtir des ESDL malsains et non sécuritaires.
Sans ces changements audacieux, la population des ESLD du Canada continuera d’être exposée à des conditions qui augmentent le risque de maladies infectieuses mortelles. L’IRAC réitère ces recommandations à la Table stratégique canadienne sur l’harmonisation des codes de construction (la Table stratégique des codes) et au groupe Codes Canada du Conseil national de recherches Canada (CNRC).
LES QUESTIONS PLUS GÉNÉRALES
Le modèle institutionnel/médical de prestations des soins de longue durée qui prévaut, avec son financement, ses politiques opérationnelles dépassées et ses piètres normes de conception, bien qu’il soit moins dispendieux que l’hébergement en milieu hospitalier, ne respecte pas et ne soutient pas les besoins des résidents de vivre dans la dignité. De plus, il existe d’autres modèles de soutien à domicile et dans la communauté qui se sont avérés beaucoup plus humains et rentables[7]. Un sondage réalisé en 2020 confirme que les Canadiens ne veulent pas vivre dans la plupart des établissements de soins de longue durée et qu’ils s’inquiètent particulièrement de l’exposition à des risques pour leur santé[8, 9].
Les architectes ont une responsabilité de défendre les intérêts des Canadiens et de créer des espaces qui répondent à leurs besoins tout en renforçant l’intérêt public. Les architectes prônent une nouvelle vision : des endroits où l’on peut vivre et se sentir chez soi et où l’on peut obtenir un soutien pour vivre sa vie le plus pleinement possible – jusqu’à son dernier souffle.
Les architectes canadiens savent que la conception sensible offre une diversité d’options d’hébergement grandement améliorées qui favorisent le bien-être. L’IRAC est d’avis que les approches alternatives à l’hébergement des Canadiens âgés qui ont besoin de soutien sont essentielles et qu’il s’agit d’une question de droits de la personne et de justice sociale. Nous sommes déterminés à collaborer avec les gouvernements, les organismes de réglementation, les propriétaires et les exploitants des établissements, ainsi qu’avec les Canadiens âgés et leurs familles pour créer des lieux de vie considérablement améliorés.
Au-delà des besoins immédiats de traiter les questions de santé et de sécurité dans les normes et les codes, les stratégies d’hébergement doivent s’éloigner des environnements médicalisés et institutionnalisés dans lesquels la qualité de vie des résidents est le résultat de chiffres entrés dans des formules pour passer à des stratégies qui permettent aux Canadiens âgés de vivre leur vie dans la dignité et le respect, avec la plus grande autonomie possible. Il existe de nombreux exemples de projets conçus par des architectes qui ont favorisé des modèles d’hébergement innovants et de qualité supérieure.
Au sujet de l’IRAC
L’Institut royal d’architecture du Canada (IRAC) est un organisme national à but non lucratif qui représente les architectes et l’architecture depuis 1907. Seul porte-parole national de l’excellence dans le cadre bâti au Canada, il s’emploie à offrir à la communauté architecturale du Canada les outils, les ressources et l’éducation qui l’aideront à rehausser sa pratique. L’IRAC est déterminé à montrer comment la conception améliore la qualité de vie tout en défendant les enjeux de société importants par une architecture responsable. Il vise à créer un monde meilleur pour tous en donnant à la communauté architecturale du Canada les moyens d’agir. Par son travail, l’IRAC a la vision d’une communauté architecturale forte qui est appréciée et en mesure de créer le changement.
L’IRAC remercie les membres du Groupe de travail sur les établissements de soins de longue durée qui ont contribué à l’élaboration du présent communiqué.
RÉFÉRENCES
1 National Institute on Ageing (2022). Counting COVID-19 in Canada’s Long-Term Care Homes: NIA Long-Term Care COVID-19 Tracker Project Summary Report. Toronto, ON: National Institute on Ageing, Toronto Metropolitan University. Récupéré de : https://www.nia-ryerson.ca/s/NIA_LTCtracker_V6-Final.pdf
2 Institut canadien d’information sur la santé. (2020). La pandémie dans le secteur des soins de longue durée. Où se situe le Canada par rapport aux autres pays? Ottawa, ON. https://www.cihi.ca/sites/default/files/document/covid-19-rapid-response-long-term-care-snapshot-fr.pdf
3 National Institute on Ageing. 2021. Points de vue sur les soins de longue durée en temps de pandémie : Ce que pense la population canadienne à la lumière de la COVID-19. Toronto, ON. Récupéré de : https://www.cma.ca/sites/default/files/pdf/Activities/National-Institute-on-Ageing-CMA-Report-FR.pdf
4 Brown, K. A., Jones, A., Daneman, N., Chan, A. K., Schwartz, K. L., Garber, G. E., … & Stall, N. M. (2021). Association between nursing home crowding and COVID-19 infection and mortality in Ontario, Canada. JAMA internal medicine, 181(2), 229-236. Récupéré de : https://jamanetwork.com/journals/jamainternalmedicine/fullarticle/2772335
5 CAN/HSO 21001:2023 – Soins de longue durée, publié en janvier 2023 par l’Organisation des normes en santé (HSO). Récupéré de : http://a.https//healthstandards.org/fr/standard/soins-de-longue-duree-canhso-21001-2023-f/
6 CSA Z8004 : F22 – Foyers de soins de longue durée — exploitation et prévention et contrôle des infections, publié en décembre 2022 par Groupe CSA. Récupéré de : https://www.csagroup.org/fr/store/product/CSA%20Z8004:22/
7 Zimmerman, S., Dumond-Stryker, C., Tandan, M., Preisser, J. S., Wretman, C. J., Howell, A., & Ryan, S. (2021). Nontraditional small house nursing homes have fewer COVID-19 cases and deaths. Journal of the American Medical Directors Association, 22(3), 489-493.
8 Leroux, M. L. (2021). Nursing home aversion post-pandemic: Implications for savings and long-term care policy.
9 Achou, B., De Donder, P., Glenzer, F., Lee, M., & Leroux, M. L. (2022). Nursing home aversion post-pandemic: Implications for savings and long-term care policy. Journal of Economic Behavior & Organization, 201, 1-21.